Armement : Selon un rapport, la France a « misé trop exclusivement » sur la coopération avec l’Allemagne
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En 2017, malgré des liens étroits en la matière avec le Royaume-Uni et l’Italie, la France a privilégié l’Allemagne pour conduire plusieurs programmes d’armement en coopération, comme le Système de combat aérien du futur [SCAF], le Système principal de combat terrestre [MGCS – Main Ground Combat System], le Système commun de tir indirect [CIFS – Common Indirect Fire System] ou encore le MAWS [Maritime Airborne Warfare System].
Par le passé, grâce en partie aux accords Debré-Schmidt, plusieurs projets communs [Transall C-160, Alphajet, missile antichar MILAN, etc.] aux deux pays furent des succès. Était-il alors plus facile de nouer des coopérations européennes à cette époque ? On pourrait le penser, à la lumière du rapport que viennent de rendre les députés Jean-Louis Thiériot et Jean-Charles Larsonneur sur l’industrie de défense en Europe.
« Les coopérations industrielles européennes semblent marquer le pas depuis plusieurs années. En 2022, seulement 18 % des dépenses d’investissement des États membres [de l’Union européenne] ont été effectuées de manière coopérative, ce qui est bien en-deçà de l’objectif fixé de 35 % », relèvent les deux rapporteurs.
Plusieurs raisons peuvent expliquer cette tendance qui s’affirme alors qu’il existe pourtant plusieurs dispositifs visant à encourager les coopérations européennes en matière d’armement. Sans doute manquent-ils d’efficacité, comme le suggère le rapport au moment d’aborder le sujet du Fonds européens de défense [FED]. En outre, l’UE est schizophrénique en la matière, avec une Banque européenne d’investissement [BEI] qui exclut le financement des « armes et munitions » ou encore les projets de « taxonomie verte et sociale ».
Cela étant, ce « déficit de coopération entre industriels européens peut être attribué à un manque de volonté politique », avancent MM. Thiériot et Larsonneur. Mais pas seulement car, poursuivent-ils, il provient « avant tout des difficultés rencontrées par les programme en coopération eux-mêmes ». Difficultés dues notamment aux « modalités de structuration » de ces derniers, lesquelles « engendrent des délais supplémentaires significatifs », comme en témoigne, par exemple, le projet de drone MALE européen [ou EuroDrone], qui devrait se concrétiser en 2030, soit dix-sept ans après les premières discussions à son sujet.
« De tels délais sont non seulement peu compatibles avec les exigences actuelles de l’économie de guerre, mais peuvent surtout aboutir à ce que les spécifications du produit, une fois livré, ne correspondent plus aux besoins des armées, compte tenu de l’évolution du contexte stratégique », soulignent les deux députés.
Qui plus est, le principe du « meilleur athlète » s’efface généralement devant le concept de « retour géographique », qui régit la répartition du travail entre les industriels impliqués dans une coopération entre plusieurs États membres. D’où, d’ailleurs, la difficulté d’augmenter les cadences de production, comme c’est actuellement le cas pour le missile franco-italien de défense aérienne Aster.
Enfin, une autre raison tient à la stratégie des États membres, comme celle suivie par l’Allemagne, qui cherche à se « positionner comme le taulier de la sécurité européenne, sous parapluie américain ». Au point d’être une sorte de « Cheval de Troie » pour les industriels d’outre-Atlantique, ceux-ci ayant multiplié les contrats de sous-traitance en Europe.
Ainsi, selon le rapport, Berlin « considère que le développement d’intérêts économiques américains en Europe constitue un moyen efficace d’assurer la présence des États-Unis en cas de crise majeure ». Ce qui est vu d’un très bon œil [mais comment s’en étonner ?] par Ursula von der Leyen, ancienne ministre allemande de la Défense et actuelle présidente de la Commission européenne.
« Nous devons avoir un retour sur investissement. C’est-à-dire développer une production européenne. Cela ne signifie pas automatiquement avoir des compagnies européennes […] Le bon exemple c’est […] la fabrication des Patriot sur le sol européen. L’important est de se doter d’une capacité de montée en puissance et d’avoir de bons emplois européens », a-t-elle en effet déclaré lors de la conférence de Munich sur la sécurité de février 2024.
En attendant, pour MM. Larsonneur et Thiériot, la « présence d’emplois locaux issus de ces productions sous licence américaines constitue un vecteur d’influence fort pour les États-Unis afin de contrecarrer toute tentative d’autonomie stratégique européenne ». Et cela leur permet également de soulager les chaînes de production de leurs industriels…
En outre, les rapporteurs mettent en avant le fait que, dans le même temps, Berlin suit une « stratégie d’influence non coopérative en Europe », laquelle repose notamment sur le projet de bouclier antimissile européen [ESSI – European Sky Shield Initiative], qui fait la part belle aux systèmes allemands Skyranger [Rheinmetall] et IRIS-T SLM [Diehl Defence], ainsi qu’au Patriot américain et à l’Arrow 3 israélien. « L’Allemagne a pleinement tiré parti du Framework Nation Concept [FNC] de l’Otan pour s’imposer comme Nation-cadre des 21 États aujourd’hui membres de cette initiative », notent-ils.
Cette stratégie d’influence concerne aussi – et surtout – l’armement terrestre, en particulier en Europe centrale et dans les pays baltes, à la faveur de la guerre de l’Ukraine. Et cela, grâce à l’initiative Ringtausch, qui profite aux industriels allemands, à commencer par Rheinmetall, dont le « carnet de commandes a augmenté de 44 % l’an dernier, pour atteindre 38,3 milliards d’euros, les commandes de véhicules militaires à roues et chenilles ayant notamment plus que quadruplé ».
Ceci fait que, sur les cinq projets qui devaient être menés dans le cadre d’une coopération franco-allemande, seuls le SCAF et le MGCS sont encore d’actualité… tout en donnant régulièrement lieu à des tensions entre les industriels concernés. Le CIFS, le MAWS et la modernisation à mi-vie de l’hélicoptère d’attaque Tigre ont en effet été suspendus, si ce n’est abandonnés.
Aussi, pour les rapporteurs, le « renforcement de la Base industrielle et technologique de défense [BITD] française en Europe exige une diversification de [ses] partenariats stratégiques et capacitaires » car la « France a en effet misé trop exclusivement sur la coopération avec l’Allemagne au cours de la dernière décennie ».
« L’axe franco-allemand est naturellement fondamental pour les grands programmes capacitaires, ainsi que le rappellent le SCAF et le MGCS, mais les récents échecs de la coopération avec l’Allemagne démontrent que la France a tout intérêt à renforcer ses partenariats avec d’autres pays européens », font valoir les deux députés. Et d’avancer deux pays possibles, à savoir la Pologne et la Suède.
Évidemment, après l’arrêt des discussions sur l’achat de 50 hélicoptères de manœuvre Caracal, en 2016, et, surtout, la frénésie de ses commandes d’équipements militaires auprès des États-Unis et de la Corée du Sud, la Pologne n’est pas le premier pays qui vient à l’esprit pour nouer des coopérations industrielles…
D’ailleurs, MM. Thiériot et Larsonneur l’admettent volontiers. Pour autant, le changement de gouvernement à Varsovie, la réactivation du triangle de Weimar et la perspective d’un partenariat stratégique renouvelé laissent entrevoir de nouvelles opportunités industrielles, en particulier pour les sous-marins, le développement « technologique » de munitions et l’espace.
Mais c’est surtout vers la Suède qu’il faudrait sans doute se tourner.
« La France et la Suède partagent un même modèle de BITD pourvoyeuse d’autonomie stratégique pour leurs forces armées », notent en effet les rapporteurs. Et si les industriels français et suédois « sont souvent en situation de concurrence à l’export », cela n’a « cependant pas empêché l’émergence de plusieurs coopérations » entre eux, « tels que le démonstrateur de drones nEUROn avec Dassault, le missile air-air Meteor avec MBDA ou les munitions Bonus avec KNDS France », ajoutent-ils. Et d’insister : « En outre, la Suède a acquis certains équipements français [NH 90, missile anti-char Akeron], tandis que France a acheté les radars Giraffe et les lance-roquettes AT4 de Saab ».
Parmi les opportunités de coopération, le rapport cite le « développement commun du système de missile anti-char moyenne portée de 5ème génération Akeron MP », l’éventuelle acquisition de missiles Aster 30 par la Suède et le remplacement des avions radars E3F AWACS de l’armée de l’Air & de l’Espace par des Global Eye proposés par Saab.
« L’acquisition par la France de ce système suédois, qui pourrait le cas échéant être adapté sur un avion français, constituerait un signal majeur en faveur de l’autonomie stratégique en Europe. En effet, l’unique alternative sur ce segment est constituée par une solution américaine, à savoir le E-7A Wedgetail de Boeing choisi par l’Otan », font valoir les rapporteurs.
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