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M. Macron précise ses intentions sur la dissuasion… en se méprenant sur l’histoire de la doctrine française

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Pour avoir récemment dit vouloir ouvrir un débat sur la crédibilité de la défense européenne en y incluant la dissuasion nucléaire, le président Macron s’est attiré, période électorale oblige, les critiques des oppositions, celles-ci ayant vu dans ses propos la volonté de mutualiser la force de frappe française.

« La dissuasion nucléaire est en effet au cœur de la stratégie de défense française. Elle est donc par essence un élément incontournable de la défense du continent européen. C’est grâce à cette défense crédible que nous pourrons bâtir les garanties de sécurité qu’attendent tous nos partenaires, partout en Europe, et qui aura vocation aussi à construire le cadre de sécurité commun, garantie de sécurité pour chacun », a d’abord affirmé le locataire de l’Élysée, lors d’un discours sur l’Europe prononcé à la Sorbonne, le 25 avril.

Puis, deux jours plus tard, il a de nouveau abordé ce sujet à l’occasion d’un dialogue avec de « jeunes européens » publié par les journaux du groupe Ebra. Là, il a souhaité « ouvrir un débat » devant inclure « la défense anti-missile, les tirs d’armes de longue portée, l’arme nucléaire pour ceux qui l’ont ou qui disposent sur leur sol de l’arme nucléaire américaine ». Et d’insister : « Mettons tout sur la table et regardons ce qui nous protège véritablement de manière crédible. La France gardera sa spécificité mais est prête à contribuer davantage à la défense du sol européen ».

En réalité, M. Macron n’a rien proposé de nouveau. Et ses propos sont même en retrait par rapport à ceux qu’il avait tenus à l’École Militaire, le 7 février 2020. En effet, tout en excluant toute idée de mutualisation, il avait déclaré que les « intérêts vitaux de la France » avaient « désormais une dimension européenne », avant de proposer un « dialogue stratégique avec nos partenaires européens qui y sont prêts sur le rôle de la dissuasion nucléaire française dans notre sécurité collective ». Et d’ajouter que « les partenaires européens qui souhaitent s’engager sur cette voie pourront être associés aux exercices » menés par les forces stratégiques françaises.

Ces propositions ne reçurent pas l’accueil que M. Macron aurait souhaité, certains pays européens, à commencer par l’Allemagne, ayant fait part de leur scepticisme. Et puis la crise du covid fit passer ce débat au second plan… Cela étant, la guerre en Ukraine et le possible affaiblissement du lien transatlantique ont changé la donne. D’où la volonté du chef de l’État de remettre le sujet sur la table. Il s’en est d’ailleurs de nouveau expliqué dans un entretien accordé au très influent hebdomadaire « The Economist », en précisant sa pensée.

D’abord, le débat qu’il appelle de ses vœux aurait la Communauté politique européenne pour cadre. Pour rappel, cette structure vise à renforcer les liens entre l’Union européenne [UE] et les pays qui partagent ses « valeurs » sans en faire partie.

« Nous devons, nous en Européens, nous dire comment, de manière crédible, nous défendons notre espace et comment ensuite, de manière crédible et durable, nous construisons pour chacun des États membres une garantie de sécurité […]. Ce que je souhaite, c’est d’arrimer la discussion dans le cadre de la Communauté politique européenne. Vous avez autour de la table tous les pays de l’Europe au sens le plus large et nous avons des bases de discussion avec les coopérations qui existent au sein des membres de l’UE, mais aussi les coopérations bilatérales, la plus structurante pour nous sur ce volet étant sans doute celle que nous avons avec le Royaume-Uni », a en effet expliqué M. Macron.

S’agissant du rôle que pourrait avoir la dissuasion nucléaire française dans l’architecture de sécurité européenne, le chef de l’État a tracé, en quelque sorte, des lignes routes.

« La dissuasion, c’est le cœur de la souveraineté. Donc la dissuasion nucléaire française, y compris de par ses règles d’engagement, est la quintessence de la souveraineté du peuple français puisque c’est le Président de la République, comme chef des armées, qui définit l’engagement de cette force nucléaire dans toutes ses composantes et qui définit les intérêts vitaux de la France. Il ne s’agit pas de changer cela. Mais il s’agit de dire, de par la nature de nos intérêts vitaux et des choix qui sont les nôtres, notre géographie, que nous contribuons à la crédibilité de la défense européenne. Nous avons donc un cadre stratégique », a expliqué Emmanuel Macron.

Et d’ajouter : « Nous voulons bâtir un concept stratégique efficace et crédible de défense commune, qui est le préalable à un cadre commun de sécurité des Européens. Il faut que l’arme nucléaire soit intégrée dans la réflexion, avec les limites connues de son engagement et sans les changer. Donc je propose en quelque sorte de dire que nous avons cette capacité » et qu’elle « doit être prise en compte et comprise par nos partenaires pour éviter aussi des redondances […], sans pour autant la mutualiser, compte tenu des sensibilités politiques qui sont celles des [différents] pays et des règles d’engagement qui sont les nôtres ».

Cependant, le président a commis quelques erreurs factuelles dans son exposé. Ainsi, contrairement à ce qu’il a avancé, ce n’est pas François Mitterrand qui, le premier, a indiqué que « l’Europe faisait partie des intérêts vitaux » : cette mention avait été suggérée dans le Livre blanc sur la défense de 1972, sous la présidence de Georges Pompidou.

« Si la dissuasion est réservée à la protection de nos intérêts vitaux, la limite de ceux-ci est nécessairement floue. […] La France vit dans un tissu d’intérêts qui dépasse ses frontières. Elle n’est pas isolée. L’Europe occidentale ne peut donc dans son ensemble manquer de bénéficier, indirectement de la stratégie française qui constitue un facteur stable et déterminant de la sécurité en Europe », avait avancé ce document.

Ensuite, en répondant à la question de savoir s’il fallait des armes nucléaires tactiques pour « gérer une escalade potentielle », M. Macron a fait une autre erreur en affirmant que la France avait « toujours refusé l’emploi tactique de l’arme nucléaire » car « notre doctrine est celle des dommages inacceptables et non pas de la guerre nucléaire limitée ».

En effet, au début des années 1970, la France s’est dotée de bombes nucléaires tactiques AN-52, mises en œuvre d’abord par des Mirage IIIE, puis par des Jaguar A et des Super Étendard. Toutes ont été retirés du service en 1991, après avoir été remplacées par des missiles de croisière Air Sol Moyenne Portée [ASMP]. L’armée de Terre a également été munie de missiles nucléaire tactiques, avec les Pluton [d’une portée comprise entre 20 et 120 km], puis les Hadès, les derniers ayant été démantelés en 1997.

« S’agissant des armes nucléaires tactiques, si les Américains et les Soviétiques en possèdent – et en quantité considérable – c’est qu’ils y ont intérêt. Nous avons la capacité technique, industrielle et financière de développer à notre tour de tels armements ; il est logique que nous cherchions à en tirer profit », avait d’ailleurs fait valoir Jacques Chirac, alors Premier ministre, lors de la mise en service des missiles Pluton, en 1975.

En outre, avait-il ajouté, « nous devons étendre notre dissuasion à des formes d’agression pour lesquelles la menace d’une riposte stratégique ne serait pas d’emblée crédible et qui sont donc les plus probables. Il s’agit, en d’autres termes, de nous donner les moyens d’une stratégie plus nuancée – et par conséquent, plus efficace – que celle d’une dissuasion ne reposant que sur des armes stratégiques et qui pourrait nous contraindre, en cas de conflit, à l’alternative soit de céder à l’agresseur, hypothèse que nous ne pouvons admettre, soit de porter ce conflit au niveau de violence le plus extrême, ce que nous voulons justement éviter ».

Enfin, M. Chirac avait donné une troisième justification à ces armes nucléaires tactiques. Justification qui, d’ailleurs, rejoint les préoccupations de M. Macron.

« Sachant son sort lié à celui de l’Europe, la France entend jouer dans la défense du continent auquel elle appartient un rôle à la mesure de ses capacités. Pour cela nous ne pouvons nous contenter de ‘sanctuariser’ notre propre territoire et il nous faut regarder au-delà de nos frontières. À cet égard, parce que ces armes sont françaises et que sur notre continent elles sont authentiquement européennes, elles apportent à la défense de l’Europe, par leur existence même, une contribution dont nos alliés – et nous-mêmes – n’avons pas encore pris exactement la mesure », avait-il détaillé.

La doctrine française a évolué au début des années 1980, quand, alors Premier ministre, Pierre Mauroy évoqua – sans le nommer – le concept d’ultime avertissement. « Il ne s’agit […] pas d’utiliser l’armement nucléaire tactique pour gagner une bataille, mais de brandir, grâce à lui, de façon crédible, la menace nucléaire stratégique si un conflit armé devait être malgré tout déclenché par l’agresseur sur le théâtre européen », avait-il dit.

Alors chef d’état-major des armées [CEMA], le général Jeannou Lacaze donna des précisions peu après. « Notre concept d’emploi ou de non-emploi […] consiste à envisager la menace ou l’emploi éventuel des armements nucléaires tactiques comme l’ultime avertissement qui serait adressé à l’agresseur avant l’utilisation des armements stratégiques, afin de l’amener à renoncer à son entreprise ».

Actuellement, la doctrine nucléaire française repose toujours sur ce concept, les Forces aériennes stratégiques [FAS] et la Force aéronavale nucléaire [FANu] étant susceptibles d’être sollicitées pour adresser un « ultime avertissement » à quiconque serait sur le point de s’en prendre aux « intérêts vitaux ». Pour cela, elles disposent de l’ASMP-A, décrit comme étant un « missile nucléaire tactique de dernier avertissement ». Les quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins [SNLE] de la Force océanique stratégique [FOST] constituent la « garantie ultime » de par leur capacité, avec leurs missiles M51, d’infliger des dommages inacceptables à l’adversaire.



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